Pâle figure
L’un des derniers épigones de l’expressionnisme abstrait américain est exposé au Centre Pompidou. Cy Twombly nous offre ses variations abstraites des années 50 jusqu’à sa mort survenue en 2011. Ultra célèbre et célébré en Europe comme aux Etats-Unis et reconnu comme représentant majeur de la peinture américaine issue des années d’après-guerre.
Ses débuts tonitruants le voient reprendre à son compte les effets expressifs directement apposés sur les toiles avec force énergie par les premiers expressionnistes abstraits. Mais c’est en mode toujours graphique qu’il emploie la peinture. Il brosse et griffe en même temps la surface des tableaux avec une élégance inusitée qui surprend par son immédiate maturité. Un langage indubitablement unique, une touche très personnelle, un espace étrange, flottant, sans bornes et pourtant lumineux. Les signes sans fonction, légers, abstraits, irisent la matière de fines particules comme des agglomérats de poussière en suspension. Les formats sont toujours grands, voire très grands et rejoignent la démesure américaine.
Twombly poursuit ses variations et ses recherches avec des surfaces grises sur lesquelles il tente d’apporter de rares éléments vibratoires ou des formes géométriques ou rondes répétitives. Dans d’autres exemples, il s’essaie à la couleur, entre rouge et rose. Des grappes de graffitis, des semblants de marques plus ou moins appuyées de petits signes, des linéaments d’écritures effritées ornent comme des parures ses tableaux et remplissent l’espace. Des gravats de touches superposées de couleurs variées viennent interjeter les courants d’énergie qui rythment l’ensemble. La nature, des éléments végétaux et minéraux, le vent, semblent sillonner ses visions et agiter les symboles plastiques qu’il crée. La suite le découvre mêler ses premiers appels à la couleur avec des jaunes qui griment les roses d’une saveur nouvelle.
La description de son univers ne rend pas compte de la qualité intrinsèque de son travail. Installé à Rome, Twombly baigne dans la grande culture ancestrale européenne, antique et moderne. Les références multiples dont il s’entoure pour exprimer son cheminement pictural racontent, de Marc Aurèle à la renaissance, l’histoire accumulée. On veut bien le croire sur ces points, mais on doute fort de croiser Marc Aurèle au détour de ses tableaux. L’écart est tel qu’on se pose la question de sa sincérité. Il ne suffit pas d’évoquer un nom pour pouvoir s’y relier. Et à mesure que l’exposition se déroule, on s’y relie de moins en moins. Très vite le doute s’installe. La puissance expressive des premiers tableaux s’éteint petit à petit et ne subsistent que quelques réussites au milieu de ratages manifestes. L’arrivée de la couleur n’arrange rien. Les rouges et les roses sont acides et indigestes. Les jaunes sont vulgaires et sales. Les mélanges ne fonctionnent pas et les graffitis finissent par flotter sans consistance. La recherche de l’imprévu vibrionnant tourne à vide. La salle des sculptures présente des assemblages fortuits de bois, abstraits, plutôt épurés et peints en blanc laiteux. C’est joli, sympathique et creux. C’est parfaitement vain et décoratif. L’épure ne mène pas nécessairement à la concentration de la pensée. Les peintures alentour dans des formats découpés à l’ancienne ne valent pas mieux. Gribouillis grotesques dont il n’émerge rien; pas la moindre lumière spirituellement chargée de résonance. Les commentaires nous indiquent pourtant que les références les plus illustres ne manquent pas. Pédanterie ? Fatigue ? Absence de vraie nécessité créatrice ? On s’interroge. L’exposition présente-t-elle le meilleur de la production du peintre ? La maturité vite acquise de Cy Twombly ne fut-elle pas un handicap pour la suite de sa carrière ? Tout n’a-t-il pas été dit trop tôt ? L’aisance matérielle de la haute société romaine dans laquelle il a rapidement baignée n’a-t-elle pas émoussé ses désirs ?
Les grandes séries qui suivent n’apportent aucune réponse sur ce qu’il tente de raconter. Elles ont l’apparat de la gloire du peintre, de son renom. Elles ont la taille requise pour épater le spectateur. Elles ont les signes de pures jouissances esthétiques sur lesquelles n’importe qui peut dire n’importe quoi et Marc Aurèle se promener avec Proserpine, le pape, Rubens, Caravage et pourquoi pas Donald. Elles sont d’un bleu verdâtre repoussant, d’un rouge fuchsia délavé virant au mauvais rose, avec l’impression d’une pureté de geste et d’énergie déployée qui ne trompera paradoxalement que les amateurs de pur concept et les craintifs dont le goût peu sûr se satisfera de l’esbroufe décorative. Il reste au mieux une trace d’élégance vaine et sans âme. Un mouvement qui se veut énergique, mais qui demeure inhabité.
Le souvenir d’une exposition de ses dessins dans une grande galerie parisienne laissait augurer une autre dimension picturale que celle qui se donne à voir au Centre Pompidou. Comme si la magie ressentie alors devant ses oeuvres légères et justes s’était envolée. Un peu à l’instar des aquarelles surnaturelles et gavées de lumière de Turner qui font place à une peinture encroûtée et guère reluisante, hormis quelques rares exceptions dont l’admirable et unique toile du maître anglais présente au Louvre.
Cy Twombly a poursuivi des fantômes et n’a pu accrocher que leurs spectres. On s’interroge une fois de plus sur la renommée et on se demande pourquoi certains peintres nettement plus talentueux sont infiniment moins reconnus.