Hubert Robert, peintre des ruines
Ce plaisant 18ème siècle au si long cour qu’il en oublia l’expression même du drame pour se réfugier dans l’allégorie décorative trompeuse. Hubert Robert ne connut pas que la ruine antique qu’il servit avec gourmandise dans ses tableaux. Il connut la ruine de la société dans laquelle il vécut et fut lui-même pris dans la tourmente révolutionnaire.
Amoureux de l’architecture qui fut son principal sujet, il ne s’embarrasse pas de perspectives parfaites. Il aime la flânerie, la reconstitution illusionniste, la mise en scène au détriment de la réalité. Il peint et compose en variations successives et selon ses commanditaires parcs et châteaux, monuments antiques revisités, places des cités. Il y positionne personnages, lavandières, marchands ambulants. Ils jalonnent l’espace de points colorés, mais restent assez anecdotiques. C’est un pittoresque de l’instant que justifie la joliesse légèrement empesée de son style. Il est un promeneur attentif des changements urbains parisiens, des destructions de bâtiments, d’incendies de cités. Dessinateur prolixe, il aura utilisé la sanguine avec maestria comme nombre d’artistes du 18ème siècle. Cette technique, sensible et facile d’emploi, lui permet tous les plaisirs sur le motif. Et ses fonds de ciel sont toujours impeccablement pommelés dans le bleu azur de ses peintures.
Les amateurs peuvent deviser devant ses tableaux avec tout leur savoir sur les merveilles antiques et la culture. Ils le feront sans jamais se sentir troublés et leurs belles réflexions sur la fuite du temps et la fin de toute chose ne marqueront que leur esprit. Il suffira de continuer à dormir tranquillement tout en profitant de la douceur de vivre si chère à Talleyrand. La révolution mettra violemment un terme à cette vision.
Mais de vision, Hubert Robert en manquait singulièrement pour se soulever à la hauteur des évènements. Il fallait être Goya pour pressentir la noirceur à venir et Friedrich pour transformer le pittoresque du paysage en véritable manifeste romantique. Le paradoxe du 18ème siècle tient en ce sens. La montée du rationalisme et de l’esprit de tolérance annonce notre temps. L’art en est saisi à priori et pourtant il n’accorde à la forme qu’une fadeur décorative surannée et dénuée de tout enjeu plastique incarnant l’énergie de la réalité. Comme si une retenue, une attente souterraine empêchaient l’expression de s’affirmer au-delà des conventions. Pour le dire autrement, la société semble avancer dans ses idées et l’art reste en retrait. Les masques du pouvoir ne permettent pas que cet instinct d’une nouvelle liberté prenne consistance formelle en prenant conscience d’elle-même. L’art de ce temps est bien saisi, mais comme immobile, comme une banquise d’afféteries convenues sans la moindre profondeur. Hubert Robert ressent inconsciemment que de nouveaux chemins se feront jour. Mais il ne peut aiguiser sa conscience au-delà des évènements. Et même lorsqu’il se retrouve au coeur du tourbillon révolutionnaire, son émoi évident ne le place pas mieux que strict chroniqueur par l’image.
La connaissance hautement établie ne garantit pas la fulgurance divinatoire des rapprochements inattendus qui est celle qui peut tout inventer. La forme plus que le fond, l’image plus que la matière peinte de l’image. Hubert Robert ne s’en est pas départi. Sa personnalité que l’on peut estimer fort sympathique et d’autant rendue par le reflet du portrait qu’Elisabeth Vigée-Lebrun fit de lui n’est pas en cause. Son talent, néanmoins, a professé très vite ses limites. Et quelque charme que l’on puisse trouver à ses tableaux, ils n’accrochent jamais l’oeil dans cet élan qui se fraye par-dessus le premier regard. L’ouverture qui fait en soi se soulever les anges et frissonner son double intérieur par cette émanation même ne fut pas de son ressort.
Ce temps de mise en germe fut celui de l’attente. Il resta conventionnel et Hubert Robert ne put se permettre d’y échapper. Pour qui cherche dans l’art la coïncidence formelle du destin et de la réalité, le 18ème siècle apparait bien fade. En conséquence de quoi, dans ce domaine, c’est le 19ème siècle qui rafla la mise.